Le passage d'une année civile à l'autre concerne 90 % de la population mondiale, celle qui réside dans les 190 nations, parmi 195 reconnues, qui ont choisi le calendrier grégorien comme calendrier civil officiel1. Ce calendrier a été introduit en 1582 par le pape Grégoire XIII et il a d’abord supplanté en Europe le calendrier julien, instauré par Jules César en 46 av. J.-C. Puis il a progressivement remplacé les calendriers d’autres aires culturelles, à la faveur des conquêtes coloniales et de l’expansion de l’influence occidentale. Le monde musulman, qui représente un quart de la population mondiale, l’a également adopté, le calendrier Hijri ou calendrier lunaire islamique étant conservé seulement comme calendrier religieux.
Ce jalon du Nouvel An, fixé par la décision d’un pape il y a quasiment 450 ans, a marqué de génération en génération notre cadence collective. Même s’il ne correspond à aucun événement astronomique et ne tient son prestige de premier que d'une convention humaine, il est devenu un jour important que les humains ont presque sacralisé. Dans le monde entier, le dernier soir de l’année suscite des réjouissances de tout ordre pour accueillir les premiers instants de la suivante. Chacun se voue à sa façon à son « dieu » personnel, à ce qui lui donne la sensation d'être plus vivant, dans des modalités très variées, selon son origine et sa culture, ses traditions familiales ou son groupe d'appartenance.
En Occident, où dominent consumérisme et quête du plaisir, ceux qui le peuvent encore s'adonnent alors à une consommation débridée. À contrario, d'autres déchargent leurs colères et leurs frustrations, brûlant presque mille voitures en France lors du dernier réveillon2. Il s’agit toujours de vivre plus intensément cette soirée pour en marquer le passage, dans une forme de culte et de sacrifice au Plus majuscule. Comme si la démesure pouvait redonner du sens quand les existences sont dans la confusion.
Cependant, cette période peut également être l’occasion d’une démarche plus intime, d’une confrontation à soi. Au seuil de la nouvelle année, semblable au marcheur qui résume la distance parcourue avant d’aborder l’étape suivante, certains en profitent pour faire leur bilan de l’année écoulée. Ils réalisent l’inventaire de leur équipement et évaluent leurs ressources. Sur leur carte mentale, ils fixent la prochaine halte à atteindre et prennent des résolutions utiles. Ils mesurent ensuite leur position exacte en s'alignant à leurs étoiles intérieures, avant de se jeter dans l’aventure, espérant que la fragile boussole du discernement suffise à assurer leur cap.
Ceux-là ne repartiront pas bredouilles de leur halte festive, car en tournant ainsi leur regard vers leur existence, en l'examinant et en se fixant des buts, fussent-ils uniquement de progrès matériel, ils ont maintenu éveillée leur capacité à s'interroger. Ils ont honoré l'un de nos traits humains les plus caractéristiques, la réflexion, cette faculté qu'a notre pensée de faire retour sur elle-même, pour examiner une idée, une question, un problème. Cette réflexivité dénote notre aptitude à nous constituer comme sujet, comme être capable de dire « je », comme une unicité vivante et consciente.
Pourtant, ces personnes, qui dans cet acte se dressent comme sujets conscients, pourraient bien, quelques jours plus tard, n'être plus que des objets sous emprise du monde dans lequel ils vivent. Les voilà traversés par des pensées qui ne sont pas les leurs, qu'ils ont intégrées en eux sans examen critique, parce qu'elles sont celles qui ont cours dans leur milieu ou dans leurs médias favoris. Assaillis de désirs impérieux, provoqués par l'habileté des publicistes ou l'envie d'obtenir ce que possède le voisin, ils seront prêts à fournir des efforts qu'ils ne concéderaient pas pour aider le nécessiteux ou combattre l'injustice.
Le voyageur spirituel, qui pérégrine d'oasis en oasis, en quête de l'eau vive qui étanche sa soif d'authenticité, nomadise loin de ces pistes communes. Si les aléas de l'existence peuvent parfois le mener vers le fracas des villes, il porte en lui le silence du désert et son étendue. Discernant la brutalité coutumière qui règne dans les territoires urbains, il n'est pas dupe du théâtre des convenances sociales qui cache si souvent la sécheresse des cœurs. Oui, tout est à vendre ici, on vendrait même l'amour si c'était possible, pourvu qu'il rapporte. Il se trouvera toujours quelqu'un pour acheter même l’inutile, si cela le détourne un instant du vide souffrant qui lui creuse les flancs.
Notre nomade, lui, sait que rien d'essentiel ne s'achète, du moins pas en monnaie courante. Dans sa lente marche vers la liberté intérieure, c'est d'effort et de discipline, et d'humilité surtout, qu'il paie chaque modeste avancée. Plus encore, c'est grâce à la constance, qu’il applique à briser une à une les chaînes qui l'entravent, qu'il sait pouvoir un jour atteindre à l'éveil. Alors, il n'y aura plus en lui qu'espace infini imprégné de l'Amour qui nourrit l'univers. Il boira à la Source des mondes et son gosier ne sera plus jamais sec.
Puissions-nous devenir tels ces nomades en quête de la vraie Vie, assoiffés d'amour, frères de tous les êtres, pour consoler un peu notre humanité qui ploie sous les guerres, les injustices et les souffrances ! Puissions-nous contribuer chacun à notre manière à améliorer par nos actes, nos paroles et nos pensées notre monde commun et notre terre commune !
Je vous partage pour finir un extrait d’une prière attribuée à François d’Assise, surnommé “le Poverello” ou le “Petit Pauvre”, que j’ai un peu modifiée pour l’adapter à ma méditation personnelle :
"O Vie infinie, que je sois un instrument de ta paix ! Là où il y a la haine, que je mette l'amour, Là où il y a l'offense, que je mette le pardon, Là où il y a la discorde, que je mette l'entente, Là où il y a l'erreur, que je mette la vérité, Là où il y a le doute, que je mette la confiance, Là où il y a le désespoir, que je mette l'espérance, Là où il y a les ténèbres, que je mette Ta lumière, Là où il y a la tristesse, que je mette la joie."
Je vous souhaite à tous une année de lumière et d'espérance, de bonification personnelle et de souci des autres !
Jérôme Nathanaël
Intéressant ce rappel historique, merci !