Nombreuses sont les personnes qui constatent que nos sociétés régressent vers moins de justice et de liberté, plus de violence et de pauvreté, et face à l'avenir qui leur paraît sombre, elles se replient sur la recherche d'un bien-être personnel, au mieux familial ou communautaire, ne voyant aucune possibilité de participer à un changement positif plus ambitieux. Ce pessimisme se répand comme une épidémie, avec ses symptômes, l'augmentation des égoïsmes, des colères larvées et des tensions sociales.
Mais si nous adoptons un autre angle de vue, nous verrons que nous avons chaque jour la possibilité d'améliorer le monde, dans des proportions significatives, qui pourraient même être décisives, si nous commencions collectivement à développer en nous, grâce à notre changement personnel, les conditions permettant une autre société.
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La semaine dernière, nous avons réfléchi au bonheur à un niveau personnel, en examinant, selon plusieurs approches, les conditions qui nous permettraient d'échapper à toutes ces dépendances, qui nous enchaînent et dont l'absence de satisfaction peut créer en nous tant de tourments.
Nous avons compris qu'en changeant notre rapport aux choses et à nous-mêmes, ce qui passe par une évolution de conscience, qui nous pousse plus à être et à développer notre vie intérieure qu'à avoir et à chercher à consommer sans mesure, nous pouvions nous engager dans une direction qui nous amènerait peu à peu à accepter totalement notre condition humaine, liée à la dualité et à l'impermanence, et à trouver le bonheur dans l'émerveillement devant les choses essentielles et dans la gratitude face au miracle du vivant.
Mais, si nous pouvons modifier, par un travail sur nous-mêmes, notre manière de percevoir et d'accueillir notre existence, nous ne pouvons éluder qu'elle se déploie dans une société qui est confrontée à de nombreuses crises, qui génèrent beaucoup d'inquiétudes et d'antagonismes, et que les conditions de vie et d'équilibre psychique d'un nombre grandissant de personnes se dégradent, on constate d'ailleurs dans nos sociétés modernes un recours grandissant aux anxiolytiques et antidépresseurs de tous types, quand par ailleurs les appels à l'aide des organisations caritatives se multiplient, car elles n'arrivent plus à faire face à l'appauvrissement des populations.
Face à cette situation préoccupante, force est de constater que la plupart des personnes ne voient plus dans la politique, la religion ou la justice, les moyens d'obtenir des améliorations significatives, et que le repli sur la recherche d'un bien-être personnel fait flores, la multiplication des officines du bonheur, où des solutions parfois magiques sont proposées pour quelques sous, en fournissant la preuve.
Mais quels que soient nos efforts pour préserver le bonheur à un niveau personnel ou familial, légitimes tant qu'ils ne nous poussent pas à l'égoïsme et l'indifférence aux autres, ils ne garantiront pas à terme que les conditions d'une meilleure société soient réunies pour assurer un avenir viable à nos enfants, ni qu'ils suffiront à faire reculer l'explosion des colères et des vengeances de ceux qui n'y arriveront plus.
Il est nécessaire que les solutions valables à un niveau restreint et individuel puissent participer d'une amélioration de la situation à un niveau plus large, autrement dit que nos avancées personnelles vers le bonheur soient reproductibles collectivement. Il devient alors évident que les voies vers un bonheur égoïste et replié sur soi ne seront pas diffusables socialement, puisqu'elles sont indifférentes à la condition du plus grand nombre.
Mais si nous nous souvenons de la célèbre citation de Gandhi, qui disait : "Soit le changement que tu veux voir dans le monde", et que nous réfléchissons en profondeur à ses implications, nous commençons peut-être à apercevoir un nouvel horizon, une autre stratégie, que le repli sur soi ou le seul recours à des manifestations de protestation contre des décisions politiques qui nous heurtent.
Si nous voulons voir nos sociétés évoluer vers plus d'harmonie et de justice, plus de partage et de sens du collectif, nous devons commencer par examiner si nous avons installé en nous tous les progrès que nous souhaiterions voir dans la société, et à réfléchir ensuite à la manière par laquelle nous pourrons ensuite les diffuser. Peut-être ainsi retrouverons-nous l'espérance puis le courage de changer le monde vers une meilleure société, qui soit plus propice à la multiplication du bonheur. C'est cette réflexion que je voudrais en tous cas poursuivre avec vous cette semaine.
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Hier j'ai terminé mon introduction à notre thématique de la semaine intitulée Le courage de changer le monde en rappelant cet aphorisme bien connu de Gandi : "Soit le changement que tu veux voir dans le monde", qui nous permet de réfléchir différemment à la problématique de l'amélioration de nos sociétés. Gandi nous ramène ici à notre responsabilité individuelle et invite chacun d'entre nous à être l'initiateur et le porteur du changement.
Car s'il est évident que la majorité des êtres humains préféreraient vivre dans des conditions harmonieuses et paisibles, plutôt que de passer leur existence dans le stress et les inquiétudes des grands ensembles urbains d'aujourd'hui, et s'ils déplorent tous l'augmentation des violences quotidiennes et des tensions sociales, ils en cherchent le plus souvent les responsables hors de leur milieu de connivence ou de leur groupe social, et en tout cas ailleurs qu'en eux-mêmes.
Mais avons-nous suffisamment interrogés nos propres jalousies, nos colères, nos égoïsmes, nos rancoeurs, nos abandons ou notre pessimisme ?
Avons-nous suffisamment conscience que chacune de nos pensées, de nos paroles et de nos actions impactent la totalité du monde autour de nous, car, ainsi que je le rappelais la semaine dernière, nous sommes tous interreliés comme une grande entité vivante, telles ces nuées d'étourneaux que j'observais cet été dans le Queyras, qui se déplacent en masse compacte, mais dont la direction globale du vol varie à la moindre bifurcation impulsée par quelques uns.
De la même manière, de proche en proche, là où je suis, dans mon travail ou mon immeuble, si je présente un visage ouvert et souriant, si j'adopte un comportement calme et bienveillant, si je considère chaque personne comme mon proche, et non comme un étranger, si je lui donne la possibilité, par mon accueil aimant, de manifester le meilleur de lui-même, j'ouvre la possibilité de partager des moments d'humanité de coeur à coeur, qui produisent de la paix et du bien-être, et ce résultat positif peut ensuite donner à d'autres envie d'emprunter cette voie plutôt que celle de la médisance ou de l'indifférence.
Et voilà déjà qu'augmente la possibilité de changer le monde en changeant l'ambiance générale, en apportant de l'harmonie, de l'espérance et de la joie.
Car il est évident que nos sociétés, leurs échecs, leurs travers et leurs dangers, ne sont rien d'autre que le résultat ce que nous sommes tous collectivement, et de ce qu'ont été avant nous nos ancètres.
Il y a bien évidemment les réalités politiques et économiques, les crises multiples qui s'accélèrent, mais sont-elles autre chose que les conséquences des mauvais choix que nous avons collectivement tolérés ou laissés faire ? sont-elles autre chose que les conséquences de notre absence de conscience de nos liens d'humanité, et de notre abandon progressif, au cours des âges, de notre participation effective au devenir collectif, nous repliant sur nos nécessités individuelles, laissant la place à ceux qui prétendent alors agir dans l'intérêt du peuple, quand en réalité ils sont le plus souvent au service d'autres intérêts, les leurs ou ceux d'un groupe restreint.
Je cite souvent à cet égard ce livre de la Boétie, son Discours de la servitude volontaire, publié en 1576, où il nous dit, je cite, "le tyran seul, il n’est pas besoin de le combattre, ni de l’abattre. Il est défait de lui-même, pourvu que le pays ne consente point à sa servitude. Il ne s’agit pas de lui ôter quelque chose, mais de ne rien lui donner." Il en est d'ailleurs de même pour les mauvais aspects de la vie sociale, commençons par ne rien donner aux tensions, aux haines, aux vengeances, aux égoïsmes, à tout ce qui nourrit ce dont nous souffrons tous.
Ayons toujours à l'esprit que les effets de notre qualité d'être personnelle, s'ajoutant à celles de tous les autres, déterminent en réalité le devenir de nos sociétés, du petit plus détail de la vie collective quotidienne jusqu'à l'existence et au fonctionnement des grandes structures politiques qui ensuite nous obligent et décident de nos vies.
Quand nous commencerons à réfléchir ainsi à ces aspects, le plus souvent oubliés, des interactions entre notre vie personnelle et le devenir global du monde, nous pourrons entrevoir un horizon totalement nouveau, celui de notre pouvoir retrouvé d'influencer sur l'avenir, qui viendra réveiller notre dynamisme et notre courage de participer à un renouveau nécessaire de nos sociétés.
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Hier, au détour d'un propos sur notre état de sujétion politique, je vous citais De la Boétie qui nous suggère, dans son Discours de la servitude volontaire, au sujet des dominations qui pèsent sur nous, que les combattre ne suffit pas, mais qu'il faut surtout ne plus rien leur donner, et qu'ainsi ces règnes se déferont d'eux-mêmes. Par analogie j'étendais ensuite cette remarque à tous les aspects négatifs de nos sociétés, que nous devrions être attentifs à ne plus nourrir avec nos propres humeurs et comportements néfastes ou stériles.
En poursuivant aujourd'hui ma réflexion sur le changement du monde, il m'est revenu en mémoire cette histoire amérindienne, que peut-être certains d'entre vous connaissent, et qui projette une lumière supplémentaire sur ce sujet. C'est un vieil indien qui raconte à son petit-fils qu'il est habité par une lutte intérieure entre deux loups, que l’un est plein d’envie, de colère, d’avarice, d’arrogance, de ressentiment, de mensonge, de supériorité, de fausse fierté tandis que l’autre est bon, paisible, heureux, serein, humble, généreux, vrai, rempli de compassion. Et il lui explique que cette lutte se produit également en lui, petit enfant, comme en chaque personne. L'enfant réfléchit alors un instant, puis demande lequel des deux loups va gagner la lutte, et le vieux sage de lui répondre cette évidence : "Simplement celui que tu nourris."
Je pense que si beaucoup d'hommes ont renoncé à leurs rêves d'enfants ou d'adolescents, de voir un jour la violence, l'injustice, la méchanceté, la pauvreté reculer, pour laisser la place à la paix, à l'équité, à la douceur et au bonheur, c'est sans doute parce qu'ils ont relâché leur attention sur ces deux loups à l'intérieur d'eux-mêmes, et renoncé à consacrer suffisamment d'intérêt à la victoire du bon loup sur le mauvais.
Comment croire en effet que le monde peut devenir meilleur, et qu'il est possible d'y contribuer, si on s'est laissé tellement absorber par la lutte extérieure pour la vie matérielle, au point d'accepter éventuellement avec soi-même les arrangements du mensonge ou de l'oubli, refusant de voir nos ombres intérieures et nos stratégies parfois bien ambiguës pour atteindre à l'aisance souhaitée ? Comment croire en effet à la possibilité d'influer sur le destin collectif et d'en réduire les maux, quand nous faiblissons à réduire en nous ce dont nous ne sommes pas fiers, dans le secret de notre coeur ?
Il nous reste alors à renvoyer à d'autres la responsabilité du changement, en acceptant d'espérer à chaque élection l'émergence d'un homme providentiel qui fera le travail, ou de croire à l'arrivée prochaine d'un messie qui aura la toute-puissance de faire descendre le ciel sur la terre ! Et ensuite chacun se plaint que le messie tarde à venir ou rend l'élu responsable de toutes ses déceptions !
Bien évidemment cela ne fonctionne pas et ne fonctionnera jamais ! Tant que nous serons porteurs à l'intérieur de nous de la possibilité de l'injustice ou de la guerre, il y aura l'injustice et la guerre dehors ! Le meilleur élu ou responsable religieux, même avec les meilleures lois, civiles ou religieuses, ne pourra pas priver l'homme cupide et égoïste de razzier tout de qu'il peut autour de lui ! Et aucune loi ne pourra empêcher l'homme dominé par la haine de se venger.
Tant que nous serons enclins à considérer que le changement ne passe pas par nous et qu'il faut attendre un hypothétique grand soir ou l'intervention d'un Tout-Puissant, tant que nous n'assumerons pas l'exigeante lucidité de sortir du rêve et des illusions, pour commencer à créer d'abord en nous-mêmes le monde harmonieux et bon que nous souhaitons voir dehors, les générations passeront sans voir reculer les souffrances de l'humanité.
J'entends déjà tous ceux qui me disent que c'est impossible et utopique, et qu'ils veulent le changement maintenant, car leurs colères sont grandes et justifiées, ou que leurs enfants ont faim, et je comprends cette impatience qui peut, moi aussi, me traverser, quand je constate tant de situations scandaleuses qui pourraient être un peu réduites par des victoires immédiates, que je souhaite, pour peu qu'elles soient sans violence et sans haine.
Mais réfléchissons un instant, et acceptons de reconnaitre que si nous voulons aller au-delà de ces éventuels gains, qui ne seraient que temporaires ou marginaux, ce n'est que par une lente, patiente et espérante transformation du monde, qui passe par le travail sur soi et le changement personnel, que nous pourrons un jour y parvenir.
Cette lutte, avec les armes de l'amour et de l'espérance, il faut d'urgence l'entreprendre, pour que dans quelques générations, nos descendants puissent enfin en goûter les fruits.
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Pour entrevoir que la possibilité du changement du monde, de l'amélioration de nos conditions de vie jusqu'à la réalisation collective de nos potentiels les plus sublimes, passe par chacun de nous, puisqu'elle s'origine d'abord dans notre bonification personnelle comme je le suggérais hier, il est nécessaire de faire un pas de côté, par rapport à la culture dominante de nos sociétés.
Depuis l'adolescence, quand nous commençons à nous interroger sur le fonctionnement social, nous obtenons des réponses qui peuvent sembler très diverses, mais qui ont toutes en commun de nous faire croire que les solutions aux problèmes de l'humanité ne peuvent venir que de l'adhésion du plus grand nombre à une idéologie politique ou à une doctrine religieuse, et du respect des règles et obligations qui leur sont liées, afin d'en permettre la mise en place concrète au niveau d'une société nationale, voire de l'humanité toute entière.
Et l'atteinte de cet objectif, censé assurer à tous l'accès au bonheur et à l'abondance, ou la perfection et l'illumination, passe toujours par l'obéissance ou la dévotion du peuple à une élite, suffisamment favorisée d'habileté, de connaissance ou de sagesse pour indiquer les modalités et les détails, et prendre les décisions qui s'imposent.
En général le non-respect de ce contrat tacite, ou la remise en cause de la validité de ce modèle, seront considérés comme des crimes de lèse-majesté, qui vaudront à l'individu ou au groupe réfractaire, dans le meilleur des cas, d'être puni par la mise au ban de la société, écarté pour ne plus nuire ni contaminer les autres, dans le pire, d'être tout simplement enfermé, voire exterminé, par le pouvoir en place.
Et il suffit d'étudier un peu l'histoire pour en trouver de multiples exemples, et pour constater qu'un système de pensée et un modèle de société deviennent dominants dans un espace donné, quand ils réussissent à s'incarner dans une organisation temporelle, et à renforcer leur puissance et sa stabilité par l'exclusion des autres. Il ne peut y avoir deux souverains sur un même royaume, et le vainqueur aura souvent vocation à étendre son pouvoir ou son influence afin d'assurer sa survie et son emprise sur le monde.
Ainsi nous sommes comme enfermés dans un contexte mental, qui n'envisage plus d'autres possibilités que ces systèmes pyramidaux et les comportements d'exclusion qui leur sont liés, dont la seule évolution possible serait l'horizon démocratique, élevé au rang de mythe fondateur de ce qui est considéré comme civilisé. Il ne s'agit plus que de changer périodiquement celui qui siège tout en haut, entouré de son cortège d'obligés et de courtisans, pour que les alternances permettent à chacun d'y trouver son compte. Et il ne vient plus à l'esprit de beaucoup que peut-être d'autres manières d'organiser le vivre ensemble seraient envisageables, particulièrement celle qui nous verrait tous libres de construire nos règles communes, au plus prêt de notre réalité quotidienne, dans une concertation bienveillante et féconde.
La simple évocation de cette possibilité passe immédiatement pour folle ou dangeureuse, alors même que le constat de la nocivité des modèles pyramidaux commence à devenir une évidence pour beaucoup, dans un contexte de manipulation médiatique qui cache son vrai visage mais réussit à porter au pouvoir des gens incompétents et peu soucieux du bien collectif.
Et nous fonctionnons, à un niveau plus restreint, d'une manière à peu près similaire à ces modèles qui structurent nos sociétés. Nous nous regroupons autour d'intérêts communs et de préjugés partagés, nous rangeant volontiers derrière des leaders charismatiques ou des personnes brillantes, prêts à choisir notre camp et à manifester nos oppositions et nos différences face aux autres, plutôt qu'à rechercher avec eux des complémentarités et des enrichissements mutuels. Il suffit de passer quelques heures à écouter les débats médiatiques ou à suivre quelques réseaux sociaux pour constater que l'insulte, l'agression et la médisance y font plus fortune que l'intelligence et l'échange paisible. Chacun semble y chercher son ennemi, face auquel il pourra s'assurer qu'il existe, en lui disant ses quatre vérités.
Pour sortir de ce cercle vicieux, et commencer à pouvoir imaginer qu'une autre voie est possible pour libérer cette humanité souffrante de ses travers et de ses impasses, il faut sentir en soi la prégnance des limites que cette culture impose à nos esprits et retrouver le goût de l'invention et de la liberté.
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Pour sortir nos sociétés des impasses dans lesquelles elles semblent piégées et transformer les nombreuses crises qui l'ébranlent en opportunités de renouveau, nous avons besoin, je le soulignais hier, de retrouver le goût de l'invention et de la liberté, pour repenser notre rôle dans le devenir global et reconquérir notre souveraineté personnelle.
Il s'agit finalement de se donner la possibilité d'être plus vivant, de cette vie qui se renouvelle sans cesse et qui est d'une diversité et d'une richesse toujours étonnante, en découvrant qu'au delà de nos routines et de nos habitudes, de nos appétits et de nos distractions, nous avons la capacité d'évoluer et de nous transformer. Nous ne sommes figés ni dans une identité définitive, ni dans nos modes de pensée ou de comportement, ni dans nos inquiétudes et nos soucis divers. Nous pouvons choisir d'investir en nous un espace plus intime, une intériorité féconde, où nous pourrons reprendre contact avec notre essentiel, comme si nous redonnions la parole à cet enfant en nous, qui est dépositaire d'autres talents, d'autres désirs, d'autres émerveillements.
Si nous cessons de consacrer tous nos moments de disponibilité à la télévision, aux réseaux sociaux ou aux distractions diverses, et préservons des temps dédiés pour aller à la rencontre de nous-mêmes, nous pourrons, dans cette démarche d'introspection et de questionnement, découvrir combien nous sommes comme entravés par une multitude d'idées reçues, de préjugés impensés, d'automatismes émotionnels, de routines inconscientes, que nous croyons être nous-mêmes, alors que ce sont des croyances et des limites qui résultent en grande partie de l'héritage familial et de l'imprégnation de notre éducation et de la culture de notre époque.
Alors nous aurons le désir de nous libérer de ces contraintes et d'oser nous penser et penser le monde différemment. Nous commencerons à rechercher d'autres réponses, d'autres éclairages que ceux auxquels nous nous étions confiés jusqu'alors, et à sentir qu'il y a derrière ce voile épais et lourd, cette intrication complexe de conceptions et de représentations, qui saturent et assourdissent nos cerveaux et ont produit ces systèmes aujourd'hui ingérables qui immobilisent nos sociétés, des réalités beaucoup plus simples que nous avons oubliées, car nous sommes en fait déconnectés des vraies richesses de la vie.
À certains moments privilégiés, surtout quand nous nous trouvons dans un joli coin de nature et que nous acceptons de faire silence, nous sentons bien que nous sommes capables d'un autre lien avec le réel et avec nous-mêmes. Nous pressentons que nous faisons partie d'un grand tout, d'une immense respiration vivante, et que nous pourrions avoir avec le monde un rapport plus harmonieux, très différent de celui que nous vivons dans le contexte social.
Nous pouvons aussi ressentir cela quand nous pratiquons la méditation ou quand nous nous confrontons à certains grands textes de l'humanité, l'évidence qu'une autre vie est possible, qui nous parle d'infini, de beauté, d'amour et d'émerveillement. Et nous constatons alors qu'il y a en nous tant d'obstacles qui nous empêchent d'accéder à cette vie plus grande et plus libre, obstacles qu'il nous faut peu à peu réduire pour libérer de l'espace, afin que s'éveille en nous autre chose, que notre essence ou, comme d'autres l'appellent, notre enfant intérieur, puisse reprendre sa croissance et accueillir ce renouveau.
Celui qui expérimente cette transformation profonde, cette mutation spirituelle, participe d'une renaissance du monde, car il devient un passage par lequel les forces vivantes, les eaux du ciel, peuvent à nouveau irriguer la terre et s'offrir en cadeau à tous les êtres. C'est pourquoi il est important de se souvenir que chaque petite victoire que nous obtenons en privilégiant le bon loup, pour reprendre la parabole amérindienne du bon et du mauvais loup, profite à toute l'humanité, et que nos efforts, pour nous éveiller et échapper à l'attraction de tout ce qui nous tire vers le négatif, le pessismisme et l'abandon, se lient aux efforts de tous ces inconnus, qui avancent pas à pas vers la lumière, et nous renforcent tous.
Je le rappelle souvent, tous les humains sont liés comme une grande entité vivante, dans laquelle chaque respiration, chaque pensée, chaque parole, chaque action, comptent pour tous.
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Celui qui est en marche vers l'éveil spirituel, qui a suffisamment développé sa présence à lui-même et sa connaissance lucide de soi pour commencer à se changer, à activer son intelligence spirituelle et à installer en lui l'amour, devenant ainsi totalement ouvert et libre de tout préjugé pour accueillir l'autre dans son humanité profonde, mesure alors la distance immense qui sépare l'état de nos sociétés, traversées par les convulsions multiples d'une civilisation malade, et la vie nouvelle qui le traverse.
Alors qu'il sent en lui grandir une proximité avec tous les êtres, comme une parenté de destin qui le lie à tous, et lui fait percevoir chaque manquement à la sublimité de la nature humaine comme une blessure vive pratiquée dans le corps même du réel, sublimité qui devient pour lui une évidence qui l'oblige, il ne peut que déplorer la vulgarité et la brutalité que les humains s'infligent les uns aux autres, répondant si fréquemment au mystère bouleversant des visages par la plus parfaite sécheresse du coeur.
Et quand les citadelles des coeurs semblent s'entrouvrir, voilà que trop souvent se dévoilent le mensonge et l'intérêt qui secrètement en mobilisent le mouvement, ou bien, derrière la rude porte qui s'ébranle, se cachent déjà l'impatience ou l'inconstance.
Comment s'étonner alors que le recours aux lois et aux contraintes d'un côté, à l'influence et au pouvoir de l'autre, paraisse nécessaire pour endiguer un peu les débordements de nos immenses appétits, et tenter d'aménager une stabilité précaire dans la coexistence de nos antagonismes ?
Mais ces garde-fous illusoires, qui n'ont jamais rendu l'humanité meilleure, amènent dans leur sillage le risque permanent, dont toute l'histoire humaine témoigne, de les voir devenir les instruments des dominations et des injustices, et de contraindre nos capacités vivantes et créatrices à un exil définitif, dans les limites de la conformité aux modèles autorisés.
Ainsi la fluidité du vivant, sa diversité et son dynamisme, cet élan vital qui habite chaque être qui vient au monde, se trouvera réduit à passer par l'étroit chenal qui est borné par les autorités de tous ordres, celle de la politique, de la justice, du commerce, de la culture, ou simplement de ce qui est considéré comme bienséant à une époque donnée.
Nous sommes le plus souvent incapables d'imaginer un seul instant l'immense perte que cela représente, l'atrophie de nos vies que cela provoque, tant nous sommes enfermés dans un contexte mental qui croit impossible toute autre alternative.
Car nous ne pensons jamais que la seule voie, qui permettrait de se libérer de ces entraves à la vie en plénitude, serait de remplacer toutes ces autorités par la seule autorité intérieure de l'amour, qui ne peut naître en nous que si nous comprenons que chaque atteinte à l'intégrité et au bonheur de l'autre mets en danger, par réciprocité, notre propre intégrité et notre bonheur.
C'est aussi ce désastre, cet étranglement de la vie, que provoquent tous ces systèmes de contraintes, que commence à deviner celui qui peu à peu, grâce à son effort de transformation et son éveil spirituel, se libère de cet état de conscience fermé. Mais il comprend également que chacun de ses progrès contribue à réduire les maux dont souffrent le monde, en relançant la puissance de la vie et en ouvrant les portes de l'avenir. Cela le renforce dans son espérance et son courage à vouloir changer le monde, en donnant l'exemple et en essayant ainsi d'être lui-même, selon l'aphorisme de Gandhi que j'ai précédemment cité, le changement qu'il veut y provoquer.
Il lui reste à faire communauté, avec tous ceux qui partagent avec lui la certitude que cette autre voie est possible, mais qu'il faudra tôt ou tard, et au plus vite , en fournir la preuve, en réalisant concrètement un embryon de société basée sur l'amour et la liberté, afin que d'autres, y constatant la fin des antagonismes et des haines et une réelle mise en œuvre de la complémentarité des talents humains, osent s'engager à leur tour dans cette construction du Nouveau Monde.